En 2018, 91% des artistes bookés-es dans les grands clubs français étaient des hommes. Les femmes, les personnes non-binaires et les groupes mixtes se partagent les 9% restant. Ce résultat sans appel est celui de l’enquête que nous avons menée afin de confronter à des faits objectifs l’idée selon laquelle les inégalités femme-homme et, plus largement les inégalités de genre, seraient en train de disparaître dans le milieu de la musique électronique. De plus en plus nombreuses, les DJ femmes et non-binaires n’en demeurent pas moins largement sous-représentées par rapport à leurs homologues masculins.
Pourquoi compter les femmes DJ ?
Moins nombreuses que les hommes derrière les platines des clubs français, les femmes sont aussi (nettement) moins visibles. Dans un manifeste paru en avril 2019 dans Télérama, 690 femmes dénoncent encore une fois le sexisme de l’industrie musicale française. Parmi les signatures, on trouve celles de nombreuses DJ reconnues : Jennifer Cardini, Miss Kittin, Justine Perry, Rebeka Warrior, AZF… Le sexisme passe donc les frontières de la musique électronique, pourtant réputée pour être un îlot safe, une enclave en marge des normes de genre. Rien de surprenant pour qui est habitué-e des sorties en club : « J’ai jamais eu l’occasion de voir une fille en DJ », disait l’une des personnes interrogées dans une vidéo de la Festival.e, décrivant très simplement la sous-représentation des femmes parmi les DJ français-es. On peut élargir ce constat à l’ensemble des minorités de genre.
Si l’on en croit le discours ambiant, cette situation serait en train d’évoluer depuis quelques années. Le milieu connaîtrait une «explosion» du nombre de femmes DJ, qui seraient de plus en plus nombreuses à percer. L’enquête biennale FACTS menée par female:pressure semble aller dans ce sens : l’édition de 2017 montre une augmentation certaine de la proportion de femmes et groupes mixtes dans les programmations des festivals de musique électronique à l’échelle internationale.
Mais ce constat résiste-t-il lorsqu’on se concentre sur la France, et qu’on s’éloigne des line-ups des événements ponctuels et très médiatisés que sont les festivals pour s’intéresser à ceux des clubs qui font vivre le monde de la nuit au quotidien ? La question de la visibilité au jour le jour est un tout autre enjeu, et nous avons tâché d’y répondre en prenant en considération non seulement la place des femmes, mais aussi celle de l’ensemble des minorités de genre.
Évaluer la place des minorités de genre dans le quotidien du monde de la nuit
Pour répondre à ces questions, nous avons choisi 11 des clubs les plus réputés des trois plus grandes villes françaises (Paris, Lyon et Marseille). Soirée après soirée, sur l’ensemble de l’année 2018, nous avons épluché les line up du Rex Club, de Concrète, du Sucre, du R2 Rooftop… Nous avons décompté scrupuleusement les hommes, les femmes, les personnes non-binaires, et les groupes mixtes.
Pour connaître précisément notre méthodologie, ainsi que la liste exhaustive des clubs étudiés, consultez la présentation détaillée de notre enquête.
En 2018, où sont les femmes DJ ? Pas là.
Les chiffres que nous en avons tirés sont sans appel. Les hommes représentent 90,9% des artistes booké-es ; les minorités de genre seulement 9,1% (dont 8,56% de femmes, 0,22% d’artistes non-binaires et 0,36% de groupes mixtes). Cette proportion est encore plus faible que celle relevée par FACTS en 2017, qui s’élevait à 11.1% pour les festivals français. Les minorités de genre semblent donc rencontrer encore plus de difficultés à pénétrer le quotidien du monde de la nuit que ses événements ponctuels.
Les minorités de genre sont également sur-représentées parmi les têtes d’affiche. Leur présence derrière les platines semble rester un «événement» qui garde une dimension exceptionnelle. Il s’agit plus souvent de stars bookées ponctuellement que de DJ locales-aux ou résidents-es intégrés-es à la routine du club.
Enfin, plus on s’éloigne de Paris, plus la proportion de minorités de genre bookées s’amenuise. L’hexagone reste donc un terrain à conquérir : de 10.8% dans les clubs étudiés à Paris, elle tombe à 9,0% dans ceux de Lyon, et 4.6% dans ceux de Marseille.